L’interview de B&F
L’interview: La Plupart des Banques ont Peur de choisir leur stratégie
Marian STEPCZYNSKI
EDGAR BRANDT: Le secteur bancaire n’a pas encore tiré du recours aux solutions progicielles les gains de productivité dont il a besoin. De fait, pour donner une image, on pourrait dire qu’il ne s’agit pas en l’espèce de progiciels, mais de logiciels développés spécifiquement pour chaque établissement, et très peu de ces solutions sont portables ou répétables sans refonte importante et développements complémentaires spécifiques propres à chaque établissement bancaire. On est loin à cet égard, dans la banque, de ce qui est devenu monnaie courante dans d’autres industries, où des logiciels standards se sont répandus et ont été parfaitement acceptés.
B&F: Pourquoi cette différence?
E.B.: Il faut d’abord admettre que l’industrie du private banking, qui nous occupe ici, se comporte comme l’industrie du luxe. Chaque banque a longtemps considéré qu’elle était différente, présentait des besoins spécifiques, et avait les moyens de faire développer à son seul avantage des solutions dont elle demeurait propriétaire; solutions qu’il était hors de question de partager avec des concurrents. De sorte que, en définitive, on peut schématiquement dire qu’il y a pratiquement autant de progiciels, ou d’éditeurs de progiciels, qu’il y a de banques. Il est vrai qu’aujourd’hui quelques sociétés d’édition de progiciels ont plusieurs clients, et il est vrai aussi que plus une banque est petite, plus elle se montrera flexible dans ce domaine-là, car elle n’a pas le choix de tout refaire.
C’est ainsi qu’un Olympic, par exemple, a pu s’établir ici ou là. Mais si on considère l’Olympic d’une banque privée, on s’aperçoit qu’il n’a rien à voir avec l’Olympic d’une autre banque privée!
B&F: On parle de plus en plus d’Avaloq…
E.B.: Effectivement, une prestigieuse banque de la place s’est décidée pour ce progiciel. C’est le choix du progiciel le moins contraignant, dans la mesure où Avaloq constitue davantage une
plateforme qu’une solution clé en main. Car s’il s’agit d’une plateforme fantastique, qui offre beaucoup de souplesse, il faut néanmoins procéder à des développements spécifiques et des paramétrages importants pour disposer d’une solution bancaire.
B&F: Pourquoi alors rencontre-t-il un tel succès?
E.B.: Dans ce métier-là, étant donné la taille du marché, un beau client de plus, cela fait un grand succès! Il y a sans doute aussi, en bonne partie, le fait que le langage et les plateformes à partir desquels cet outil a été développé sont performants. Mais on en revient encore et toujours au défi qui se pose à l’industrie bancaire, à savoir qu’elle ne bénéficie pas suffisamment des gains de productivité qu’elle mériterait d’obtenir en regard des investissements consentis. Les départements de systèmes d’information sont devenus très importants et très coûteux, dans une industrie où finalement le marché n’est plus prêt à payer ces prix-là. La banque privée avait traditionnellement un comportement d’industrie de luxe, avec des clients qui étaient prêts à en payer le prix. Aujourd’hui, les clients ne sont plus disposés à payer ce prix-là, de sorte que les banques ne peuvent plus se comporter de la
même façon à l’achat de certains biens ou services.
B&F: Comment expliquez-vous le fait que les banques soient de plus en plus nombreuses à opter pour des solutions progicielles qui viennent de Suisse allemande, et pas de Suisse romande, où pourtant sont nés plusieurs importants éditeurs de progiciels, les Eri Bancaire, les Temenos, etc.?
E.B.: Parce qu’il y a plus de marché là-bas, tout simplement. Les sociétés d’informatique qui naissent aujourd’hui s’y installent parce qu’elles y trouvent davantage de clientèle. Et celles qui étaient nées ici n’ont pas suivi certaines évolutions sur de nouvelles plateformes, sur de nouvelles technologies. Elles se sont intéressées aussi à d’autres marchés, à l’étranger, plutôt qu’au marché alémanique. Et je ne sais pas s’il est plus facile d’aller vendre ces solutions à Londres ou à Paris plutôt qu’à Zurich, lorsqu’on vient de Genève…
B&F: Comment à votre avis le secteur bancaire va-t-il évoluer au cours des prochaines décennies?
E.B.: Le secteur bancaire a fortement évolué ces dernières années. Si l’on considère les grands axes d’évolution qui se sont dessinés au cours des vingt dernières années – et l’on parle bien ici de private banking – il y a eu des tentatives d’outsourcing pour certains éléments (d’autres établissements ont à l’inverse «insourcé» en délocalisant). Petit à petit, on en vient à accepter cette évolution, et l’outsourcing représente de moins en moins un tabou. On essaie ainsi de dégager des gains de productivité, mais cela reste encore marginal. Regardons maintenant ce qui se passe du côté de l’activité proprement dite: il y a vingt ans, les tiers gérants – c’est-à-dire les gérants de fortune indépendants – n’existaient pratiquement pas, le terme lui-même était encore inconnu ou presque.
Aujourd’hui, cette activité s’est fortement développée. Finalement, en quelques années, la banque s’est dématérialisée. Il n’y a pas si longtemps que les banques ont adopté l’outsourcing de leurs back-offices, de l’informatique et de certaines autres fonctions clé. Les activités de front en revanche, extrêmement importantes, n’étaient pas outsourcées, puis il y a eu le développement des tiers gérants, et enfin plus récemment le développement et la mise en place de ce qui est appelé l’architecture ouverte (le fait d’offrir aux clients les produits de banques concurrentes, ou de tiers externes); c’est en fait le front qui est outsourcé: la banque s’est désormais en quelque sorte «désagrégée».
B&F: Le front, c’est, en langage laïque, la vente…
E.B.: La relation client et les produits destinés aux clients. La gestion elle aussi tend peu à peu
à s’externaliser. Si les banques continuent d’estimer que leurs produits sont uniques, elles n’en ont pas moins fortement développé la vente de leurs propres produits de gestion aux clients des autres banques, et elles ont également offert à leurs clients les fonds de banques concurrentes. Finalement, on vend tous les produits, les siens comme ceux des autres, et les produits «maison» pourraient à la limite être regroupés dans une entité à part, dissociée de la banque.
En résumé, les gérants sortent, la relation clients s’externalise en partie, les produits deviennent des produits du marché. Finalement, la banque devient un simple dépositaire. Que restet- il d’elle? C’est là, me semble-t-il, qu’il y a tout un métier de la banque à réinventer.
B&F: C’est donc, en gros et pour simplifier, le développement du family office, de la relation très personnalisée avec des clients privilégiés.
E.B.: Eh bien voilà. On pourrait plus généralement redéfinir la banque privée en remettant plus à jour ce concept de family office. Autrement dit, les prestations doivent aller plus loin, et prendre véritablement en compte les besoins des clients. C’est ce qu’on trouve dans tous les programmes marketing. Mais en réalité, les banques ont encore beaucoup de peine à transposer cet objectif dans les faits, parce que les métiers traditionnels paient très, très bien (encore), et que l’on n’a pas affaire aux mêmes personnels. Le collaborateur qui fait de la gestion de portefeuille sur la base de certains types de recommandations, que ce soit en picking direct d’actions ou de fonds, n’est pas celui qui va donner du conseil fiscal ou patrimonial. Non seulement ce ne sont pas les mêmes profils, mais en plus il ne s’agit pas de la même tarification: comment vais-je facturer le conseil fiscal que je donne à un client? Si je mets à sa disposition le meilleur fiscaliste, comment vais-je le tarifer? A mille francs de l’heure – ou 500 francs, peu importe – alors que ce client a déposé 20 millions de francs et plus chez moi, millions que je fais travailler et sur lesquels je prélève déjà des frais et commissions? Réunir les bons profils et les tarifer correctement est une chose très difficile. Si l’on est en présence d’un family office, cela signifie que l’on fait appel à des tiers externes, à un réseau constitué des meilleurs experts. Tout cela, il faut le consolider. Le fait d’être capable de réunir les bonnes compétences autour d’une table, cela a un prix.
Au surplus, pour les très gros clients, la banque n’est pas ici, elle est chez eux. Autrement dit, si certains outils sont indispensables pour dégager des gains de productivité, encore faut-il tenir compte des exigences particulières, de plus en plus élevées, formulées par la clientèle des «high networth individuals». Il faut donc, de plus en plus, être mobile et disponible pour le client, là où il se trouve. Nos banques doivent ainsi apprendre à devenir plus globales comme les clients quelles désirent servir, ce qui n’est pas une tâche aisée dans l’environnement réglementaire que l’on connaît. A défaut, elles s’orienteront vers le «mass affluent», ou l’«affluent» un peu évolué. Et de fait, on observe que les banques abaissent régulièrement les seuils d’entrée. «A 100 000 francs, proclamait l’autre jour un établissement, on accepte les clients». C’est là un marketing un peu faux à mon avis, parce les banques les ont toujours acceptés (je n’ai jamais vu une banque refuser un client, sauf peut-être aux Etats-Unis, où une banque peut fort bien refuser un client en dessous, par exemple, de 20 millions de dollars. Mais ce qui passe dans la mentalité américaine ne passe pas ici: on n’ose pas).
Si l’on évalue les systèmes d’information, le personnel nécessaire, le reporting pour le client, etc., force est de constater que les services ne sont pas les mêmes selon que l’on sert des clients de masse à 100 000 francs de fortune ou des high networth à 50 millions et beaucoup plus. Ce n’est pas la même chose, ce n’est pas la même banque.
B&F: Est-ce totalement incompatible?
E.B.: Soit on est une banque pour servir une clientèle très fortunée, formée de gens ayant une éducation particulière, capables de comprendre des mécanismes financiers complexes, et à laquelle on ne peut répondre que moyennant le recours à des systèmes d’information très spécifiques, capables de s’adapter aux besoins de reporting du client, à la recherche de produits pointus résultant d’une ingénierie financière très sophistiquée, le tout accompagné d’un service personnalisé haut de gamme supposant notamment de transporter la banque dans le salon du client, avec toutes les prestations que cela implique. Soit on est une banque qui s’adresse à des clients à 100 000 francs, auxquels on ne peut vendre que des produits standards, sur étagère, avec des systèmes qui sont homogènes, des reporting standards (parce qu’on ne peut pas être rentable si on dévie d’un iota). Etre les deux à la fois, cela ne colle pas! Soit vous êtes équipé de structures vous permettant de satisfaire de très gros clients, et cela vous coûte trop cher si vous les utilisez pour des petits, soit vous êtes équipé pour les petits et vous ne faites pas du tout ce qu’il faudrait pour satisfaire les grands, et n’êtes pas concurrentiel dans les services que vous leur proposez. C’est pour cela qu’il y a, à mon avis, incompatibilité entre les deux modèles.
B&F: La plupart des banques sont quand même entre les deux…
E.B.: Oui.
B&F: Cela signifie-t-il qu’elles ne savent pas choisir leur stratégie?
E.B.: Oui, elles ont peur, il y a des choix à faire, et ce sont des choix douloureux: quel est notre créneau, quelle est notre segmentation, comment nous y prendre pour adapter nos structures en fonction de ceux-ci…
B&F: Les banques elles-mêmes ne se définissent pas suffisamment à fond…
E.B.: Elles n’osent pas le faire, car c’est un véritable noeud gordien qu’elles devraient trancher. Le choix est extraordinairement difficile. Au niveau de l’institution tout d’abord: imaginons que la banque dresse la liste de tous les clients avec lesquels elle a une relation depuis plus de cinq ans, mais qui n’ont jamais dépassé le demi-million de francs suisses, et qu’elle prenne la décision de s’en séparer. Fort bien. Mais peut-être se trouve-t-il parmi ceux-ci tel client qui a un tissu de relations et d’amis parmi les clients de la banque, de sorte que si on l’éconduit, ces derniers vont se vexer et s’en aller avec lui. Il y a donc toutes sortes d’incidences, des effets de bord dans ce genre de décision. Ensuite, on est tout de même embêté d’envoyer ses clients à la concurrence.
Ce que j’ai suggéré dans de tels cas, c’est de créer une autre banque, une sous-marque, avec d’autres systèmes, d’autres personnels, afin de gérer différemment les petits clients, du moins pour
celles des banques qui en comptaient beaucoup.
B&F: Une «UBS-budget», en somme…
E.B.: Si j’ai mentionné un délai de cinq ans, c’est que si, au bout d’un tel laps de temps, on n’a pas réussi à convaincre un client qui dispose d’une fortune importante d’en déposer davantage qu’une fraction de million chez vous, c’est qu’il y a une faute de gestion quelque part. Soit on agit en mettant en place un plan de marketing qui a pour objectif de concrétiser le potentiel du client, et on suit les progrès accomplis, soit on fait semblant, on espère sans jamais parvenir à transformer le potentiel du client. Dans ce cas, la banque n’a pas une stratégie client bien définie et surtout appliquée, c’est ce que j’appelle la stratégie du «me too»: il y a un marché de x milliards en gestion de fortune, je suis là, et pour peu que je tienne mon parapluie bien ouvert, je vais en récolter un petit peu. Mais ce n’est pas très satisfaisant comme principe de gestion d’entreprise. C’est pour cela que je préfère personnellement, en stratégie, des choix qui soient plus courageux et plus clairs. Mais, encore une fois, ce sont là des choix difficiles à faire.
B&F: Pensez-vous qu’il y ait des éléments extérieurs, une pression concurrentielle accrue par exemple, qui vont amener les banques à devoir se résoudre à ces choix?
E.B.: En tous les cas, oui. Cela va être fondamental, car aujourd’hui, on l’a bien vu, les clients commencent à négocier les tarifs. Aux Etats-Unis, on les voit même commencer à négocier les tarifs des fonds (qui étaient souvent, il faut le reconnaître, exagérément élevés). Partout, à tous les niveaux, on constate que le client devient mieux informé, dans un marché de plus en plus transparent, et qu’il n’est pas prêt à payer n’importe quoi n’importe comment. Donc oui, la pression immanquablement va être là, et elle portera tant sur les coûts que sur la qualité des prestations.
B&F: Vous la voyez venir du client plutôt que des concurrents proprement dits.
E.B.: De la clientèle, oui. Pour le reste, la concurrence va s’exercer plutôt entre places financières qu’entre établissements bancaires. Lesquels doivent agir de plus en plus collectivement en tant que place financière, et se tenir à l’écart des querelles de clocher qui n’intéressent plus grand monde. Les attaques récentes contre la place financière suisse ont ceci de bon qu’elles ont forcé nos banquiers à faire front commun. Les Romands, sans doute plus sensibles aux conditions cadres, ont commencé à réagir, et l’on a vu récemment quelques-uns d’entre eux prendre des positions clés et de grandes responsabilités à l’échelon national.
B&F: Nos banquiers devraient s’ériger en défenseurs d’une même voix de la place financière suisse contre les attaques venues de l’extérieur?
E.B.: Pas contre, ni en défenseurs de quoi que ce soit, mais en tant que promoteurs. Que l’on trouve des centres de coûts et que l’on délocalise l’informatique, c’est bien et c’est immanquable puisqu’il faut être productif. Mais il faut aussi travailler davantage en amont, c’est-à-dire investir dans la formation. Il y a de avancées dans le domaine, mais ce n’est pas encore assez pour faire de notre pays le centre financier du futur. Il est tout de même impressionnant de constater que les meilleurs fonds, ceux qui s’adressent à une clientèle private banking, ne sont pas nés à Genève, et ne sont pas gérés depuis ici. Comment se fait-il que lorsque je parle à un banquier, il me dit que son équipe de fonds est à Londres ou à New York? Pourquoi n’est-elle pas à Genève, où il y avait une concentration de fortune importante? Le marché naturel était là.
B&F: Pourquoi s’est-il déplacé?
E.B.: On nous rétorque: «Parce qu’il n’y a pas de jeunes talents». Or, des jeunes, il y en a, et ils ont la tête aussi bien faite. Jusqu’à présent, on manquait de centres de formation adéquats, c’est en train de changer, grâce aux initiatives qui sont prises. Il faut créer les conditions pour développer ici ces talents. Mais pour que cela change vraiment, il faudrait prendre des risques, se donner le droit à l’erreur.
Avec le conservatisme qui régnait jusqu’ici dans nos banques, n’importe quel jeune de 25 ans, motivé, avec la tête qui marchait bien, et qui disposait d’une bonne formation, était placé dans une équipe à l’intérieur de laquelle il n’avait pas le droit de prendre d’initiative. Pas de challenge, pas de défi, pas de risque. S’il en voulait, on lui suggérait de partir à Londres ou New York, parce que là-bas on lui donnerait la chance de sa vie. Il faut donc aussi que l’on soit capable de prendre des risques, de donner des responsabilités aux jeunes, de les mettre en avant. Au lieu de quoi on les neutralise. Arrivé à 40 ans quand ils sont devenus relationnels plutôt que techniques, on leur donne des responsabilités, mais ils n’ont plus envie de prendre des risques. Ils ne vont pas vous sortir des produits novateurs: c’est trop tard!. Outre le manque de formation adéquate, il y avait donc absence de conditions cadre suffisantes pour permettre à ces gens-là d’émerger. Cela signifie qu’il va falloir aussi de temps en temps lancer des fonds, et accepter de les arrêter lorsqu’ils seront devenus moins performants. Développer des équipes motivées, dynamiques, leur donner le droit de prendre des risques, et enfin les rémunérer en fonction de leurs performances par de véritables bonus.
B&F: C’est une montagne que vous voulez déplacer…
E.B.: Je ne dis pas que je veux la déplacer, j’imagine simplement comment les choses pourraient se passer. D’ailleurs, la montagne est bel et bien en train de se déplacer, puisque la formation se constitue, et que l’on voit de bons produits émerger ici ou là. Mais lorsqu’on regarde les banques avec indépendance et une certaine distance, on se rend compte que les structures nécessaires pour que ces bons exemples se répètent ne sont pas encore en place. On n’a pas encore trouvé la recette, la façon d faire, qui fasse que si l’on a réussi une première fois, on puisse réussir une seconde, une troisième fois, et ainsi de suite. Les bonus, il faut encore les développer et surtout les attribuer selon la performance du fonds. On ne dispose pas encore de la mentalité qui fasse que lorsqu’on a tous les ingrédients, les gens, les moyens financiers, l’accès à un marché de proximité, bref, que l’on a tout pour réussir, on dise: «allez-y!»
B&F: Il manque encore de cette mentalité qu’il faut bien appeler anglo-saxonne.
E.B.: Vous êtes d’accord que c’est quand même triste! Et si l’on prend un peu de recul, il faut admettre que ce n’est pas normal. Encore une fois, les clients sont là, les moyens aussi.
B&F: Que pensez-vous du phénomène des banques en ligne, qui tendent à se multiplier?
E.B.: Ces banques-là ont en règle générale une clientèle extrêmement jeune et mobile. Je ne connais pas encore leurs taux de fidélisation des clients, mais si la plateforme et le service sont bons, ces taux devraient augmenter. Cela dit, il s’agit d’un profil de clientèle un peu particulier. On peut parier que certains de ces clients vont devenir plus riches, et avoir besoin de davantage de services que simplement d’une plateforme en ligne. Par conséquent, ces courtiers ou ces banquiers en ligne vont être
confrontés à l’évolution des besoins de leurs clients. Les plus jeunes ont davantage de temps à leur disposition, mais les clients les plus fortunés ne pourront pas toujours se satisfaire de la meilleure technologie et rester en ligne. A un moment donné, vous devez choisir: soit vous passez votre temps à gérer votre fortune, soit vous le passez à la créer. Les clients vont donc se mettre à chercher d’autres services, d’autres prestations que celles proposées par les boutiques de selfservice. Lesquelles vont devoir évoluer, et sont d’ailleurs en train d’évoluer. Elles sont déjà dans le «salon» du client, elles vont sans doute pouvoir – parce qu’elles suivent des business models très dynamiques – continuer d’évoluer avec leur clientèle, et répondre à leurs attentes et à leurs besoins. Elles ont donc, me semble-t-il, un très bel avenir devant elles. Mais pour cela, il va leur falloir étoffer leur offre.
B&F: Dans la direction d’une relation plus personnalisée, ou bien cette offre demeurera à votre avis essentiellement électronique? Il est vrai qu’il paraît bien difficile de donner du conseil fiscal ou patrimonial en ligne.
E.B.: Cela va être un mix, immanquablement. Mais je doute que cela reste simplement des plateformes selfservice.
E.B.: Non, non, cela va changer. Il y aura de moins en moins d’acteurs assurément. Certes la banque globale qu’est en train de devenir UBS pourra, parce que l’on aura précisément réussi à réconcilier l’image suisse avec le reste du monde, demeurer une référence, car née en Suisse. Mais cela nous apportera autant que ce que Nestlé apporte à la Suisse, un pays de sept millions d’habitants, pas plus. Un marché aussi étroit n’est pas pertinent pour une banque globale. Jusqu’au jour où ses actionnaires décideront qu’il est finalement peut-être mieux d’installer ses headquarters ailleurs. Cela peut arriver. On a vu beaucoup de banques étrangères venir établir leur centre de private banking à Genève. Elles l’ont fait parce qu’elles y trouvaient alors leur intérêt. Pendant combien de temps auront-elles intérêt à y être présentes? Si ce n’est que pour viser le marché domestique, celui-ci est trop petit, et ne peut les intéresser. Comment inverser cette tendance? Créons des produits, soyons un centre d’excellence financière, développons des équipes de gestionnaires, ayons les talents ici!
et y font de nouveau de l’argent, alors qu’auparavant elles le jugeaient non rentable. N’y a-t-il pas là quelque chose d’intéressant?