Newsletter – Août 2009

Août 16, 2009

La malédiction du “haut de gamme”

 

Rien de tel qu’une bonne crise pour remettre en question nos hypothèses et changer de points de vue. Dans les temps anciens – c’est-à-dire avant la fin 2008 – il était courant d’entendre que quelque soit le type d’activité commerciale, être placé sur le haut de gamme était la meilleure des positions possibles. Moins de pression sur des thèmes ennuyeux tels que l’efficacité opérationnelle, de plus grandes marges, et un ensemble de produits ou services bien définis étant affinés constamment afin de maintenir la fidélité d’une clientèle fervente. Et comme nous parlons du haut de gamme, la clientèle est plutôt prospère et généralement moins sensible aux aléas des cycles économiques.

 

Cependant cette image idyllique a commencé à se craqueler lorsque le haut de gamme a commencé à subir le même destin que le milieu et le bas de gamme. La rumeur suggérait pourtant que les marques de luxe étaient mieux placées pour supporter les crises car elles s’adressent aux plus aisés d’entre nous. L’on fut donc surpris de constater que des marques connues – on pense par exemple à la maroquinerie – et intimement liées au luxe ont annoncé des chutes importantes de leurs ventes. Il est clair que notre compréhension de ce qui caractérise le haut de gamme n’avait pas intégré les changements opérés par la communication de masse. En effet, si les grands groupes investissent massivement dans des campagnes de promotion de marques de luxe, c’est nécessairement pour s’adresser à une clientèle potentielle bien plus nombreuse qu’un petit cercle de privilégiés.

Donc, notre compréhension de ce qui distingue le haut de gamme a perdu de sa pertinence, et l’idée que le luxe est une assurance contre les risques liés aux ralentissements économiques ne semble plus faire beaucoup de sens. Le haut de gamme est pleinement exposé aux crises dès qu’il atteint une taille qui suscite l’intérêt des observateurs de l’économie. L’immunité face aux cycles économiques est la chasse gardée d’entreprises si petites – le monde du “vrai luxe” – qu’elles en deviennent anecdotiques du point de vue de l’analyse.

Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Nous avons pu observer dans la presse de ces jours-ci les diverses réactions des entreprises face à la crise. Et le tableau n’est pas particulièrement flatteur pour les entreprises du haut de gamme. Observons de plus près la situation par type d’industries, afin de ne par faire de fausses comparaisons.

 

Prenons par exemple le marché de l’automobile. Ici le défi est double: d’une part la contraction conjoncturelle et de l’autre, les changements massifs d’ordre structurel (émissions de carbone). Que se passe-t-il du côté des acteurs du luxe? Ferrari craint d’être à terme exclu purement et simplement du marché pour des raisons législatives; Rolls Royce envisage d’associer son nom à une édition limitée des Minis; et le sigle d’Aston Martin sera bientôt appliqué sur des modèles spéciaux de la Toyota iQ (la Cygnet). Quant à Porsche, l’entreprise a consacré récemment beaucoup d’énergie et de moyens pour tenter de prendre le contrôle d’une autre compagnie automobile… Pour ce qui est de l’évolution de la gamme de ces fabricants, chaque nouveau modèle semble plus décalé que le précédent par rapport aux grandes tendances qui affectent cette industrie.

 

La comparaison avec le marché automobile de masse est frappante. En dépit des problèmes liés au développement d’une surcapacité de production lors de la dernière décennie, c’est ce marché-là qui est en train d’offrir les réponses aux défis de notre temps, reformulant radicalement ses produits pour proposer des moyens de transports adaptés aux centres urbains, des solutions innovantes en terme de systèmes de propulsion, voire encore explorant de nouvelles frontières avec les automobiles “low cost”. Même GM ressort de sa faillite avec un prototype intéressant.

 

Le secteur du transport aérien offre un autre exemple frappant. La compagnie low cost Ryanair a récemment « fait la une » en annonçant des mesures potentielles de réductions des coûts telles que rendre l’accès des toilettes à bord payant, surtaxer les passagers trop lourds (sic.), ou introduire des places debout. Bien que ces mesures soient à juste titre considérées comme excentriques et soient plus liées à une stratégie de communication qu’à toute autre chose, elles renforcent la perception, concomitante à la montée en puissance des compagnies low-cost il y a quelques années, que c’est dans le bas de gamme que les compétences – et les moyens – d’assurer sa survie sont les plus affutés. Avec la crise actuelle, tous les acteurs de l’industrie doivent supprimer des destinations et maintenir des avions au sol. Mais il est frappant et particulièrement révélateur de constater que la dernière mesure de British Airways destinée à diminuer ses coûts a causé autant de protestations que l’annonce de Ryanair. Quelle était la mesure en question? Les passagers de la classe affaires auraient à renoncer aux gâteries qui les attendent habituellement au moment de monter à bord de l’avion, et devraient accepter de boire leur café dans une tasse en carton.

 

La même histoire pourrait être répétée en observant de nombreuses autres industries. Notre message n’est clairement pas de suggérer que les entreprises du haut de gamme – ou leurs équipes de direction –sont moins compétentes ou visionnaires que leurs homologues du bas de gamme. Il est au fond plus inquiétant: non seulement le haut de gamme n’est pas immunisé contre les crises économiques, il pourrait également y être plus vulnérable dans certaines circonstances.

 

Le problème des entreprises du haut de gamme est que pour atteindre leur positionnement, elles doivent créer, développer et renforcer les attributs de leurs produits et services à tel point qu’ils deviennent consubstantiels à leur offre et que leurs clients soient enclins à payer une prime supplémentaire. Mais ces attributs très marqués sont des armes à double tranchant. Par beau temps, ils assurent la fidélité d’une clientèle exigeante qui y est attachée. Quand l’horizon s’assombrit, ils se transforment en camisole de force, plaçant de formidables contraintes sur le développement futur des entreprises concernées.

En comparaison, les entreprises qui opèrent sur le marché “de masse” font face à des attentes clients bien plus génériques et portent leurs efforts sur le rapport qualité-prix de leur offre. Elles disposent ainsi d’une bien plus grande liberté dans la conception de celle-ci.

 

Notre propos n’est évidement pas de dire que les entreprises et les marques de luxes sont vouées à disparaître. Mais il est clair que restructurer une entreprise du haut de gamme qui fait face à un futur incertain est un défi d’une très grande ampleur. C’est donc vraisemblablement là que les talents managériaux seront le plus demandés dans les années à venir, et aussi, au-delà des inévitables échecs, que les plus intéressants épisodes de restructuration auront lieu.

Edgar Brandt Advisory SA

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La malédiction du “haut de gamme”

 

Rien de tel qu’une bonne crise pour remettre en question nos hypothèses et changer de points de vue. Dans les temps anciens – c’est-à-dire avant la fin 2008 – il était courant d’entendre que quelque soit le type d’activité commerciale, être placé sur le haut de gamme était la meilleure des positions possibles. Moins de pression sur des thèmes ennuyeux tels que l’efficacité opérationnelle, de plus grandes marges, et un ensemble de produits ou services bien définis étant affinés constamment afin de maintenir la fidélité d’une clientèle fervente. Et comme nous parlons du haut de gamme, la clientèle est plutôt prospère et généralement moins sensible aux aléas des cycles économiques.

 

Cependant cette image idyllique a commencé à se craqueler lorsque le haut de gamme a commencé à subir le même destin que le milieu et le bas de gamme. La rumeur suggérait pourtant que les marques de luxe étaient mieux placées pour supporter les crises car elles s’adressent aux plus aisés d’entre nous. L’on fut donc surpris de constater que des marques connues – on pense par exemple à la maroquinerie – et intimement liées au luxe ont annoncé des chutes importantes de leurs ventes. Il est clair que notre compréhension de ce qui caractérise le haut de gamme n’avait pas intégré les changements opérés par la communication de masse. En effet, si les grands groupes investissent massivement dans des campagnes de promotion de marques de luxe, c’est nécessairement pour s’adresser à une clientèle potentielle bien plus nombreuse qu’un petit cercle de privilégiés.

Donc, notre compréhension de ce qui distingue le haut de gamme a perdu de sa pertinence, et l’idée que le luxe est une assurance contre les risques liés aux ralentissements économiques ne semble plus faire beaucoup de sens. Le haut de gamme est pleinement exposé aux crises dès qu’il atteint une taille qui suscite l’intérêt des observateurs de l’économie. L’immunité face aux cycles économiques est la chasse gardée d’entreprises si petites – le monde du “vrai luxe” – qu’elles en deviennent anecdotiques du point de vue de l’analyse.

Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Nous avons pu observer dans la presse de ces jours-ci les diverses réactions des entreprises face à la crise. Et le tableau n’est pas particulièrement flatteur pour les entreprises du haut de gamme. Observons de plus près la situation par type d’industries, afin de ne par faire de fausses comparaisons.

 

Prenons par exemple le marché de l’automobile. Ici le défi est double: d’une part la contraction conjoncturelle et de l’autre, les changements massifs d’ordre structurel (émissions de carbone). Que se passe-t-il du côté des acteurs du luxe? Ferrari craint d’être à terme exclu purement et simplement du marché pour des raisons législatives; Rolls Royce envisage d’associer son nom à une édition limitée des Minis; et le sigle d’Aston Martin sera bientôt appliqué sur des modèles spéciaux de la Toyota iQ (la Cygnet). Quant à Porsche, l’entreprise a consacré récemment beaucoup d’énergie et de moyens pour tenter de prendre le contrôle d’une autre compagnie automobile… Pour ce qui est de l’évolution de la gamme de ces fabricants, chaque nouveau modèle semble plus décalé que le précédent par rapport aux grandes tendances qui affectent cette industrie.

 

La comparaison avec le marché automobile de masse est frappante. En dépit des problèmes liés au développement d’une surcapacité de production lors de la dernière décennie, c’est ce marché-là qui est en train d’offrir les réponses aux défis de notre temps, reformulant radicalement ses produits pour proposer des moyens de transports adaptés aux centres urbains, des solutions innovantes en terme de systèmes de propulsion, voire encore explorant de nouvelles frontières avec les automobiles “low cost”. Même GM ressort de sa faillite avec un prototype intéressant.

 

Le secteur du transport aérien offre un autre exemple frappant. La compagnie low cost Ryanair a récemment « fait la une » en annonçant des mesures potentielles de réductions des coûts telles que rendre l’accès des toilettes à bord payant, surtaxer les passagers trop lourds (sic.), ou introduire des places debout. Bien que ces mesures soient à juste titre considérées comme excentriques et soient plus liées à une stratégie de communication qu’à toute autre chose, elles renforcent la perception, concomitante à la montée en puissance des compagnies low-cost il y a quelques années, que c’est dans le bas de gamme que les compétences – et les moyens – d’assurer sa survie sont les plus affutés. Avec la crise actuelle, tous les acteurs de l’industrie doivent supprimer des destinations et maintenir des avions au sol. Mais il est frappant et particulièrement révélateur de constater que la dernière mesure de British Airways destinée à diminuer ses coûts a causé autant de protestations que l’annonce de Ryanair. Quelle était la mesure en question? Les passagers de la classe affaires auraient à renoncer aux gâteries qui les attendent habituellement au moment de monter à bord de l’avion, et devraient accepter de boire leur café dans une tasse en carton.

 

La même histoire pourrait être répétée en observant de nombreuses autres industries. Notre message n’est clairement pas de suggérer que les entreprises du haut de gamme – ou leurs équipes de direction –sont moins compétentes ou visionnaires que leurs homologues du bas de gamme. Il est au fond plus inquiétant: non seulement le haut de gamme n’est pas immunisé contre les crises économiques, il pourrait également y être plus vulnérable dans certaines circonstances.

 

Le problème des entreprises du haut de gamme est que pour atteindre leur positionnement, elles doivent créer, développer et renforcer les attributs de leurs produits et services à tel point qu’ils deviennent consubstantiels à leur offre et que leurs clients soient enclins à payer une prime supplémentaire. Mais ces attributs très marqués sont des armes à double tranchant. Par beau temps, ils assurent la fidélité d’une clientèle exigeante qui y est attachée. Quand l’horizon s’assombrit, ils se transforment en camisole de force, plaçant de formidables contraintes sur le développement futur des entreprises concernées.

En comparaison, les entreprises qui opèrent sur le marché “de masse” font face à des attentes clients bien plus génériques et portent leurs efforts sur le rapport qualité-prix de leur offre. Elles disposent ainsi d’une bien plus grande liberté dans la conception de celle-ci.

 

Notre propos n’est évidement pas de dire que les entreprises et les marques de luxes sont vouées à disparaître. Mais il est clair que restructurer une entreprise du haut de gamme qui fait face à un futur incertain est un défi d’une très grande ampleur. C’est donc vraisemblablement là que les talents managériaux seront le plus demandés dans les années à venir, et aussi, au-delà des inévitables échecs, que les plus intéressants épisodes de restructuration auront lieu.

Edgar Brandt Advisory SA

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