“L’audit de l’Etat a dix ans. Et rien n’a changé” – Tribune de Genève
L’audit de l’Etat a dix ans. Et rien n’a changé
Publié le 29 septembre 2006
Franchement, qu’est-ce qui a changé depuis 1996 sous le ciel comptable de notre République? Totalement à l’opposé du discours politique qui fait état d’avancées (finalement mineures), le citoyen détient comme toujours la vraie réponse. R ien n’a changé, hormis la dette. Enorme et dangereuse il y a dix ans, elle est devenue obèse et contagieuse. Demandé par le peuple il y a dix ans contre l’avis de l’ensemble des forces politiques cantonales, l’audit d’Etat d’Arthur Andersen offrait pourtant la possibilité d’économiser des milliards à long terme. Mais les propositions drastiques auraient demandé du courage et des décisions fortes.
Audit de l’Etat dix ans après: Où sont les réformes?
Edouard Bolleter
Publié le 29 septembre 2006
Mais à quoi peut bien servir un audit si ses conclusions sont ignorées par la suite? Exactement dix années après le rendu de l’audit de l’Etat par le consultant Arthur Andersen, la question prend tout son sens.
A-t-on suivi à la lettre les 49 pistes de réformes proposées ou même réalisé les 180 millions d’économies (immédiates) suggérés par les consultants? Alors qu’en 2006 le canton croule sous les dettes et les déficits, la réponse semble négative.
Force est de constater, à la relecture du document, que les propositions d’économies ont été écartées et que l’immobilisme a pris le dessus sur les réformes. Maître d’œuvre de l’audit, responsable d’Arthur Andersen à Genève à l’époque et toujours actif dans le conseil d’entreprise, Edgar Brandt est certainement la personne la mieux indiquée dorénavant pour tirer un bilan.
Aujourd’hui à la tête de la société genevoise de conseil aux investisseurs et aux responsables d’entreprise Edgar Brandt Advisory, l’expert a accepté de répondre à nos questions:
Une des recommandations proposait plus de 180 millions de francs d’économies dans des délais rapprochés par le biais de huit «gisements» (achat, gestion de projets, des risques et des moyens, finance, etc.. se référer à notre infographie).
L’effort vous semble-t-il avoir été fourni?
Il faut préciser que les économies pouvaient se chiffrer en milliards avec un effort continu. Mais les choses n’ont pas évolué à cause de l’absence de volonté politique et de la disparition du consensus sur l’état réel des finances. Aucune grande réforme dans la gestion administrative de l’Etat n’a été réalisée. Pourtant, il n’y avait aucune orientation politique dans nos choix.
A votre avis, le fonctionnement de l’Etat a-t-il vraiment changé depuis 1996?
Non, absolument pas. Les politiques continuent à s’ingérer dans l’exécution des tâches et cela donne des choix mal éclairés.
Les solutions de l’audit seraient-elles applicables encore aujourd’hui?
Le rapport a été revu à l’interne mais n’a jamais été démenti malgré certaines tentatives. Il est encore tout à fait applicable. Il s’est heurté à la résistance aux changements des politiques. Certains préfèrent attendre que le temps passe, cela sert d’avantage leurs intérêts.
Si vous héritiez de la même mission aujourd’hui, que changeriez-vous?
On ne peut pas faire vraiment mieux à part peut être dans le domaine de l’enseignement. Nous avons beaucoup communiqué et joué la transparence avec la presse et le Conseil d’Etat. Mais nous aurions du nous investir davantage dans la mise en œuvre, dans le soutien et l’accompagnement.
En définitive, un Etat est-il vraiment modernisable ou le poids des administrations est-il trop lourd?
Il existe des exemples de changement comme la Nouvelle Zélande, la Suède ou encore l’Angleterre avec Tony Blair. L’Etat doit devenir plus mobile car la société évolue. L’Etat doit apprendre à se désengager, à ne pas empiler les missions. A Genève, le canton cumule des milliards de dettes depuis 15 ans. Elles sont liées à un déficit courant des frais de fonctionnement car les recettes fiscales progressent. Comment expliquer qu’il n’y a pas de désendettement durant les cycles haussiers ? La fatalité règne mais cela ne règle pas les problèmes.
«Le premier audit global d’Etat»
Le mandat de votre audit avait un objectif très clair au niveau économique, renforcer le contrôle financier et la gestion et trouver des économies. Pensez-vous, dix ans plus tard, que les pistes proposées ont été suivies ?L’administration a tenté de mettre en œuvre un certain nombre de pistes. Il y a eu quelques succès, mais certains ont sous estimé l’ampleur de la tâche.(eb)Ce que l’Etat a fait depuis l’audit
Parallèlement à cela, sept services pilotes ont conduit une expérience de nouvelle gestion publique (NPM) limitée dans le temps (1997-2000). «Même si nombre de ces travaux n’ont rien eu de spectaculaire et n’ont éveillé qu’un intérêt restreint, ils n’en ont pas moins été porteurs de changements» précise la communication sans plus de détails. Avant de préciser que sur un autre plan des travaux ont été conduits dans le cadre de «Service public 2005» dans différents domaines, mandats de prestations, réforme du système d’évaluation des fonctions (MODSEF), réflexion sur les indicateurs de prestations immatérielles, travaux sur les normes. Enfin, la mise en place de la comptabilité financière intégrée (CFI) durant l’année 2004 va permettre d’offrir progressivement les éléments nécessaires à une véritable comptabilité analytique. L’ancien Conseil d’Etat a donc suivi certaines pistes.
*Fort de 1800 pages, l’audit d’Arthur Andersen a mobilisé quarante personnes durant des semaines, dont des experts genevois ou internationaux actifs dans tous les domaines.*Le coût total de l’ensemble du projet pour l’Etat a été de 8,5 millions de francs (5,5 millions nets facturés par Arthur Andersen).*Hormis les propositions d’économies «rapides» décrites dans notre infographie, 49 pistes de réflexion ont été proposées.*Au niveau de l’organisation administrative de l’Etat, l’idée d’une nouvelle répartition des responsabilités de gestion n’a pas été suivie. Il s’agissait de laisser au Conseil d’Etat les décisions politiques et de donner aux grands commis de l’administration la mise en oeuvre de ces décisions. (eb)